La vie faisant souvent bien les choses, celle-ci nous a réservé une petite surprise pendant notre période de « convalescence rotulienne ». Me voyant assise toute la journée sur le balcon de notre petite pension, Godai, petite femme énergique qui habite la maisonnette mauve à l’arrière de la pension, me fait signe de venir la rejoindre. C’est jour de Pongal (festival des agriculteurs du Tamil Nadu). A peine arrivée, je me retrouve avec une assiette dans les mains et un riz cuit avec de la canne à sucre pour l’occasion. De cette première rencontre suivront des dizaines d’autres… (au grand dam de l’épicier sous notre pension qui reprochera à la famille leur générosité sous prétexte que cela réduisait nos dépenses dans son échoppe! )
Nous rencontrons Pandai, le mari de Godai, petit bout d’homme vif et vaillant ainsi que leur fils Raja, 29 ans, avec qui nous nous lions d’amitié. Chaque fois que je traverse pour prendre le thé avec Godai, celle-ci me parle en tamil (nous sommes à la frontière entre l’Etat du Tamil Nadu et celui du Kerala, beaucoup ont pour première langue le tamil). Quand elle voit que je ne semble rien comprendre à ce qu’elle me raconte, elle rit et parle plus fort ! Je finis quelque fois par comprendre le sens de ces paroles ou encore je répète à voix haute les derniers mots de sa phrase (comme si cela allait d’une quelconque manière m’éclairer!) ce qui la rend toute joyeuse. Elle doit penser que je progresse en tamil!! Godai, cuisinière aux doigts de fée qui nous concoctent des plats en temps record et en utilisant, bien sûr, que les produits de leurs plantations…
Chaque jour, nous observons Raja aller et venir sur ses terres, pour s’occuper des cocotiers, nourrir les vaches, etc. Plusieurs fois par jour il enfourche sa moto pour récupérer l’eau de riz d’un restaurant dont le propriétaire est ami et qui servira pour abreuver les vaches, ou encore pour se rendre à des réunions municipales afin de régler les problèmes d’approvisionnement en eau. Pendant ce temps, j’observe son père retourner sans relâche la terre d’une de leur parcelle, à l’aide d’une simple bêche, puis effectuer des dizaines d’aller-retour en transportant sur sa tête des tonnes de terre… « Time is money, time is money » nous crie-t-il sur un air ricaneur de petit garçon ! L’observer ainsi porter 60 kilos sur sa tête, à 62 ans et du haut de ces 5 pieds, m’inspire et suscite toute mon admiration. Il nous fait aussi sourire quand, une fois sa journée de travail terminée, il se rive le nez à l’écran du petit téléviseur (qui constitue l’essentiel du mobilier familial en plus des deux lits), bien droit sur sa chaise, le volume au maximum. De temps en temps, il interrompt notre conversation pour lancer d’un ton rieur et de sa voix stridente des phrases liées à l’actualité : « Poutine ! Hollande ! France » ou encore: « Ha ha ! Dans mon pays, les femmes cuisinent et servent leur mari avant de manger. Mais dans votre pays, c’est l’inverse ! ha ha ! » (Il a vu François balayer et cuisiner, ce qui n’a pas manqué de l’amuser !!)
Quand remise sur pied je peux marcher à nouveau, Raja nous montre ses terres qui totalisent une surface d’un hectare. Il nous fait goûter au fruit de ses différentes cultures (noix de bétel, poivre, cacao, épices…) et nous mène à sa petite cabane cachée au milieu des cocotiers, là où il échappe à la chaleur du midi.
Raja est curieux. Chaque soir, il pose des questions qui démontrent son intérêt à mieux comprendre comment nous voyageons et comment nous vivons à Paris. Au fait de l’actualité internationale (qu’il suit sur son petit téléviseur), nous discutons même un peu politique. A la seule mention d’un match de cricket entre l’Inde et le Pakistan, Raja tressaille immédiatement et, grimaçant, s’exclame : « Ouhhhh Pakistan !! Ouhhhh. 2 soldats indiens ont été tués récemment par l’armée pakistanaise.». Et ce, même si nous nous trouvons à des milliers de kilomètres de la frontière pakistanaise… Le gouvernement (avec l’aide des médias) a su en faire un enjeu national et la seule évocation du pays voisin semble entraîner une réaction viscérale chez beaucoup d’Indiens que nous rencontrons. *
Un soir, alors que nous lui montrons quelques photos de Paris et notamment de notre fête de départ, Raja nous dit doucement, avec un mélange d’envie et de résignation dans sa voix mais gardant néanmoins son sourire : « Ohhhh, très très beau. Vous avez beaucoup de liberté hein ? Vous pouvez faire la fête, voyager… Ici, c’est travail, travail, travail. Work, work, work. Agriculture work. Le travail d’agriculteur ne nous permet pas de prendre des vacances. » Que répondre ?
La veille de notre départ, lors d’une de nos petites rencontres quotidiennes, Raja nous dit tout en entrelaçant les doigts de ses deux mains : « Vous savez, je salue toujours les touristes qui passent par ici. Mais c’est la première fois que j’ai le sentiment d’avoir des amis européens… Vous allez me manquer ». François et moi avons le cœur gros. Nous avons pris l’habitude de les voir tous les jours et de discuter avec eux. On caresse l’espoir qu’il nous rende visite un jour, bien que nous sachions que sa réalité est autre et qu’une fois marié (ce qui ne saurait tarder, sa mère menant activement les « recherches »), il devra alors également s’occuper de ses parents.
Raja, qui signifie roi, a sans conteste gagné nos cœurs par sa gentillesse si spontanée, si naturelle… En repartant, nous n’avons pas besoin de discuter pour savoir tous les deux que si un jour nous revenons en Inde, cela impliquera forcément un passage dans la petite maison violette au cœur des montagnes de Marayoor…
* Pour ceux que ça intéresse, l’écrivaine et militante Arundahti Roy en parle dans son recueil d’essai « Listening to the Grasshopers ». Elle aborde notamment la terrible gestion du conflit au Cachemire et les nombreuses violations qui en découlent.
Super reportage. Profitez bien de ces moments d’exception qui malheureusement ne reviendront sans doute jamais.
Bises à tous les deux.
Encore un reportage sublime qui me touche très profondément.
Quelles rencontres magnifiques faites-vous…….!Mais vous aussi ces personnes ne vous oublieront pas,car vous êtes aussi vrais qu’eux et ils l’ont senti immédiatement.Le reportage sur la cueillette du thé et la rémunération du travail, m’empêchera dorénavant de jeter la moindre parcelle de thé…..!Je vous envie pour toutes ces découvertes sublimes et te remercie ,Ge,pour ton opiniâtreté journalistique,qui vient à bout des pannes de courant!!
Je vous embrasse tous les deux tres tres fort!
Hello vous deux !!!!!
Contents d’avoir de vos nouvelles, de voir Ge retapée du genou et de vous savoir bien alimentés tous les deux par vos hôtes ;p
C’est super ces liens d’amitié qui se tissent, c’est clair que les départs doivent être toujours un peu tristes et nostalgiques !
En tous cas , vous êtes tombé dans une bien jolie famille ! Incroyable comme ses parents font jeunes
Pleins de bisous pour la route et à bientôt
C’est toujours autant un émerveillement de lire vos rencontres. Mais quelle est donc cette grande poêle que vous avez pris en photo ? A quoi sert-elle ? Pour prendre un bain de boue pour réparer les blessures physiques ?
Bonne Saint Valentin à tous les deux c’est le 14 février !
Coucou et merci pour les commentaires! La grande poele sert en fait a faire bouillir le sucre de la canne a sucre des plantations avoisinnantes.. le resultat donne de petites boules dures de sucre non raffine (comme sur la photo). Ils appelent ca ‘jaggery’, utilises lors des occasions speciales.
ouin… c’est ca, la chance immense et le désir de faire ce voyage à vélo et de rencontrer toutes ses belles personnes qui vous seraient sans doute impossible de rencontrer, car elles de leur côté n’ont pas cette possibilité, cette liberté comme ils disent! Je vous envie tant, wow! Magnifique la photo avec le feu!:) Loves it!
Raja… moi ca me fait rire, car le Raja que j’ai rencontré en 2007, était aussi un roi… genre, ici à Montreal, et voyageait le monde, c’était un homme d’affaires portant le turban, avec plein d’argent donc..ouais un King! ha ha différent quand meme!!
Bon tu sais quoi faire pour garder ton genou en santé la ma soeur! vous êtes en forme en tout cas, jvous trouve beaux!
François, tu es certaine que Godai n’a pas arrêté ses »recherches » sur Ge…? Parce que Ge, elle, semble pas mal amoureuse de Raja! Méfie-toi! Il semble beau garçon…