Parenthèses itinérantes

Au cours des dernières semaines de notre séjour en Inde, nous avons fait quelques grands écarts, passant du tumulte des routes bondées et bruyantes à la médiation et la vie en communauté en passant par l’action charitable. Quelques mots sur ces parenthèses itinérantes.

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L’ashram d’Amma

Om shanti… shanti… Ya namaha. Om shanti, shanti…

Dès que l’on passe le seuil d’entrée de l’ashram d’Amma, les chants du temple arrivent à nos oreilles. On sent immédiatement que l’on pénètre dans un autre monde. Une bulle de calme où se côtoient occidentaux et Indiens qui déambulent pour la plupart vêtus de blanc, le visage sérieux. Situé à Amritapuri sur la côté ouest, l’ashram accueille des gens de toutes les nationalités. On y pratique la méditation, le yoga et surtout, on y vient pour en apprendre davantage sur les enseignements d’Amma.

Connue pour ses « hugs », qu’elle donne sans relâche des heures d’affilée, Amma est considérée comme un guru, une divinité, une mère, une dirigeante (d’une ONG humanitaire considérée comme étant l’une des plus importantes et efficaces au monde). Son enseignement est un appel aux qualités du cœur, à la compassion, la tolérance et la simplicité. Et découvrir ces qualités exige un travail quotidien…

Sollicitée partout à travers le monde, Amma n’était pas à l’ashram lorsque nous y sommes passés. Or, sa présence se ressent partout. Plusieurs nous ont dit (y compris des sceptiques) que rencontrer Amma avait transformé leur vie… Lorsqu’elle est là, l’ashram se remplit (de 2000 il passe à plus de 10 000 personnes) et Amma le fait vibrer de sa voix qui, dit-on, est divine lorsqu’elle chante…

Le calme de l’ashram nous a plu. Nous avons apprécié pouvoir participé aux travaux quotidiens (appelés les « seva ») ; moi au balai, François aux poubelles. Les séances de méditation pratiquées au bord de la mer et de yoga au lever du jour nous ont semblé être une invitation à s’immerger davantage un jour dans ces pratiques qui nous rappellent combien il peut être bon (quoique très difficile) de taire un peu son esprit (et son égo au passage !) et de faire la paix avec son corps, trop souvent l’oublié du quotidien.

Et vous, Amma vous a-t-elle déjà pris sans ses bras ?

Pour en savoir plus sur Amma, vous pouvez visiter son site.

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« To be with the lost, least and the last » : Rencontre avec des ONGs

Dans le but d’écrire un petit article pour ROL (nous ne vous en disons pas plus pour l’instant. A venir !), nous avons eu l’opportunité de rencontrer deux grandes ONGs de charité oeuvrant dans le Kerala dont la qualité du travail et la créativité des projets nous ont impressionnés.

L’une d’elle, Quillom Social Service Society,  nous a offert de l’accompagner avec l’équipe médicale pour une visite de certains des patients de leur programme de soins palliatifs à domicile. De cette visite nous retenons particulièrement le travail important de l’ONG ainsi que le sourire de Lelitha…

Lelitha a 62 ans. Cela fait maintenant 23 ans qu’elle est atteinte du cancer (d’abord du sein puis des os). Elle a passé les 8 dernières années de sa vie allongée. Ses doigts sont méconnaissables, comme s’ils avaient été écrasés sous le poids d’un camion. Ses bras sont recueillis (pour toujours) sur sa poitrine. L’infirmière du QSSS la retourne doucement sur le côté. Ses jambes ne sont désormais plus que 2 palettes de bois, larges, plates, totalement inertes. La peau se détache de partout, comme carbonisée. Les orteils sont pourris.

Malgré le combat de son corps, le visage de Lelitha rayonne. Elle m’observe, me sourit doucement. Puis me demande en anglais d’une voix presque imperceptible : What is your name ? Son mari, atteint de démence, est cloué au lit à l’entrée de la maison. Il fixe le plafond, le bras droit attaché au barreau de la fenêtre. Leur fils travaille pour subvenir aux besoins de la famille, qui loue la petite maison et peine à payer le loyer chaque mois. Sa femme l’a quitté, trouvant trop difficile la charge de sa belle-mère.

Pendant ce temps, la mère de Lelitha, 91 ans (mais qui en paraît 30 de moins), doit s’occuper de sa fille et de son mari. Elle-même est atteinte de diabète. Son pied déformé la fait souffrir, mais elle ne s’en plaint pas. Au contraire, elle nous accueille énergiquement tout en répétant les yeux mouillés « Santosha, santosha - comme je suis heureuse de votre visite ».

La fille de Lelitha est parajuriste et gagne un bon salaire, mais son mari l’empêche d’en verser une partie à sa famille pour les soins de sa mère. Son autre fille est esthéticienne, comme l’était sa maman. L’équipe de QSSS fait de son mieux, par les soins qu’ils lui prodiguent deux fois par semaine, pour que Lelitha puisse terminer ses jours avec dignité. Les infirmières la soignent, rigolent avec elle et lui enfilent finalement une jolie robe bleue et blanche aux motifs fleuris. Puis, Lelitha demande à ce qu’on lui brosse les cheveux. C’est qu’elle est coquette, cette Lelitha.

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Auroville

Certains d’entre vous ont sans doute déjà entendu parler de cette communauté internationale de 2000 personnes qui vit au milieu du Tamil Nadu ? Fondée en 1968, Auroville est une cité universelle conçue pour y accueillir jusqu’à 50 000 personnes originaires du monde entier. Pensée par « The Mother », qui a passé plus de 30 ans à Pondichéry en compagnie de Sri Aurobindo (militant pour l’indépendance de l’Inde, philosophe, poète et écrivain spiritualiste. Il aurait développé une approche nouvelle du yoga – le yoga intégral).

L’objectif d’Auroville est de réaliser l’unité humaine dans la diversité. « Aujourd’hui, Auroville est reconnue comme la première et la seule expérience en cours internationalement soutenue sur l’unité humaine et la transformation de la conscience, également concernée par – et faisant concrètement de la recherche sur–un mode de vie durable et les futurs. »

Construite sur un lot de terre jadis aride, Auroville surprend tant par ses espaces verts que par son architecture qui rappelle celle des années 70 avec une touche futuriste. Le mantri mandir, lieu de concentration (et non de méditation, nuance : ) et symbole d’Auroville , en est un bel exemple.

Voici un petit extrait du “Rêve » d’Auroville :

« Ce serait un endroit où les relations entre êtres humains, qui sont d’ordinaire presque exclusivement basées sur la concurrence et la lutte, seraient remplacées par des relations d’émulation pour bien faire, de collaboration et de réelle fraternité.  »

Tandis que plusieurs nous avaient mis en garde contre l’accueil « froid et distant » des Auroviliens vis-à-vis des visiteurs, nous avons pour notre part été agréablement surpris par nos rencontres et discussions avec quelques Auroviliens. Et ce, en n’y restant que quelques jours.

Une soirée passée à discuter avec Uriel nous confirme le fait que vivre à Auroville, c’est accepter d’expérimenter. Accepter de déconstruire pour mieux reconstruire. Vivre à Auroville, c’est accepter de ne rien « posséder ». Accepter de laisser la maison qu’on y bâtit à la communauté le jour de notre départ. Accepter de travailler pour la communauté (selon ses capacités et sa créativité) en laissant de côté les perspectives de carrière, d’accumulation de la « richesse » (matérielle)… A Auroville, on expérimente. Vivre en société sans structure de pouvoir, en tentant d’y laisser notre égo de côté, n’est pas chose facile ! On reconnaît les erreurs, les reculs. (Un dépliant officiel de la cité le reconnaît, les Auroviliens rencontrés aussi) Pas grave, on continue les essais. A tâtons et à coup de réunions guidées par la recherche du consensus (vous imaginez donc les réunions !) Compliqué, certes. Mais dans un monde tourné vers la consommation, le prestige, la carrière… un monde où l’on oublie souvent de s’arrêter pour respirer un peu, l’expérience d’Auroville est tentante. Et les familles rencontrées nous ont semblé heureuses, épanouies, détendues (oui, détendues ! Siiii loin du stress parisien…). Et non, contrairement à une croyance populaire (du moins au Québec !), les Auroviliens ne sont pas tous des illuminés sortis de Woodstock !

Sukrit, dont les parents sont d’origine canadienne mais qui est né et a grandi à Auroville, a converti un ancien atelier de menuiserie en café avec dans un coin un atelier de vélo : le Aurovelo cafe. Avec Grog, cycliste français croisé sur les routes de la cité, nous y avons dormi quelques nuits, en plus de profiter des conseils de Sukrit pour la réparation de nos vélos. Sukrit nous raconta comment un homme voyageant en voiture s’est un jour arrêté à Auroville. Au moment de repartir, sa voiture rend l’âme. Celui-ci l’interpréta comme un signe. 20 ans plus tard, il y vit toujours. Ishanta, la belle petite fille de Sukrit, une blondinette aux yeux bleus, m’a dit au moment de partir, avec sa tête penchée sur le côté : « Oh. you are leaving… ? Maybe you will come back one day and then you will stay foreeeever ». Qui sait? : )

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Nous avons donc terminé notre voyage en Inde en compagnie de ses différentes communautés, tout en rejoignant à nouveau la route côtière (que nous avions quitté 2 mois plus tôt du côté de Ratnagiri) avec ses villages de pêcheurs et ses « backwaters » (sorte d’enchevêtrement de réseaux de canaux que l’on retrouve entre l’océan et la plaine du Kerala) .


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Nous avons rejoint Kanyakumari, la pointe sud du pays, là où la mer d’Arabie, l’océan Indien et le golfe du Bengale se rencontrent.

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Finalement, un petit voyage en train de nuit nous a amené près de Chennai (d’où nous nous envolerons pour Bangkok) sur la côte est.

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Arrivés à 3h du matin , bivouac improvisé sur le quai de la gare en attendant le lever du jour … le tout en image !

Pour marque-pages : permalien.

12 réactions à Parenthèses itinérantes

  1. Surtout GE, continue de bien dormir sur le quai de la gare, ou alors à l’arrière du tandem quand François pédale..
    Moi, je ne m’envole pas lundi mais jeudi.
    Bises.
    Jean-Pierre

  2. Armelle Massonnet a écrit:

    HoOOOOoooo !! trop de choses à commenter dans ce carnet !
    Emouvant, réjouissant et drôle !!!
    Pauv’Ge, pas le temps de se réveiller et hop, à califourchon sur le « double bike  » !!
    Enfin c’est vrai qu’au vu de ce que vous y vivez ça vaut le coup de faire tous ces efforts ! ;p
    Bon ben voilà j’me sens un peu conne à Paris ! grrrrrRRrr, j’veux voyager moi aussi !
    Au lieu de ça je vais me clouer à l’ordi pour faire une démo de #@erde, pour peut être pas trouver un taf qui paye à peine les factures pour un appart que je supporte plus dans une ville qui me sort par tous les pores !
    Oups j’aurai bien besoin d’un câlin avec Amma ;p
    Allez roulez les enfants et ayez une petite pensée pour moi dans la belle nature, que je respire un peu de loin :)

  3. massonnet a écrit:

    Vous êtes sur le point de vous envoler vers d’autres cieux et d’autres belles découvertes,mais je voulais vous remercier avec JP pour ce très dense et magnifique reportage sur votre fin de séjour en Inde.Quelle force et quelle richesse dans le récit ;et puis les vidéos nous immergent vraiment dans votre quotidien.
    Merci pour ce beau travail et ce partage qui nous fait beaucoup réfléchir sur ce que nous vivons souvent en occident..!!Nous sommes fiers de vous,mes enfants et attendons avec impatience d’autres beaux reportages.
    Surtout,prenez bien soin de vous!
    Gros bisous à tous les deux.

  4. Mich Paul a écrit:

    Haaah ma soeur la face étampée ! oh boy, mais t’as l’air comfo quand meme!
    Ce voyage me donne chaud.. litterally.. c’est juste toujours de mieux en mieux… je veux jamais que la page finisse..:))

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