Confessions tibétaines

2eme bivouac en sol chinois (ou pour être plus exacte dans le Tibet historique). Il se fait tard, nous devons trouver un endroit pour camper. Or il est difficile de trouver un lieu à l’abri des regards indiscrets, en particulier ceux des policiers qui rôdent autour. Tout près, une grande maison peinte à la chaux qui arbore les symboles tibétains. Bon, on leur demande quand même malgré le drapeau du parti communiste chinois qui trône sur le toit de la maison?

Nous faisons signe au vieil homme qui est penché sur sa clôture. Vêtu du manteau typique tibétain, sorte de longue redingote noire (ou brune) sertie d’une ceinture rose pour tenir le tout bien fermé et d’un vieux chapeau en poil de lama tout élimé, il s’approche de nous. Et accepte immédiatement. Puis, pointant un doigt vers le ciel, il nous murmure: Dalai-lama. On apprendra plus tard que le drapeau du parti n’est pas forcément révélateur de l’allégeance de ses habitants au parti: au contraire, il peut s’agir d’une obligation pour ceux-ci.

Plus nous avançons vers la frontière de la Région « Autonome » du Tibet, plus les contrôles policiers sont fréquents. Contrôle sur la route, contrôle à peine débarqués à l’hôtel, contrôle au restaurant… La plupart du temps par des policiers qui semblent à peine sortis de la puberté, la cigarette au bec. Nous ne ressentons pas forcément les tensions qui peuvent exister entre les tibétains et les migrants économiques chinois fraîchement débarqués sur l’ancien territoire tibétain, mais chose certaine, nous ressentons une pression physique, tel un étau qui se resserre sur les villages… Postes de police à tous les cent mètres, casernes militaires parfois accolées à certains monastères (pour ne pas dire carrément embarqués dessus! i.e. Maer’kang), des dizaines de grues qui s’affairent à ériger de massifs édifices en béton gris loin, très loin, du style architectural des maisons tibétaines avoisinantes. Chaque jour sur la route entre Derong et Litang, nous croisons des dizaines et des dizaines de camions militaires en convoi. Direction: Lhassa. Impossible de ne pas voir dans tous ces signes une volonté d’y encercler, voire d’y effacer, la présence tibétaine…

Au fil des semaines, nous parvenons  à communiquer de plus en plus avec les tibétains. Presque tous nous parlent du Dalai-lama, la voix étranglée. De ces rencontres et discussions, des images fortes demeurent: celle d’un tibétain nous ayant accueilli pour la nuit qui pointe ses doigts sur sa tempe, tel un revolver; celle d’un jeune homme faisant semblant de se faire passer les menottes… nous indiquant tous deux par là les conséquences liées à la simple détention d’une photo de leur chef spirituel ou à la tentative de se rendre à Lhassa pour prier.

Dans le monastère de Labrang (l’un des six plus importants de la secte des bonnets jaunes du bouddhisme tibétain), un moine nous indique dans l’une des chapelles la photo du Dalai-lama. Ainsi il est possible d’y exposer sa photo? ‘Pour le moment oui, mais lorsqu’ils débarquent, nous la retirons » nous affirme-t-il.

Finalement, ma discussion la plus politique aura eu lieu avec un… fonctionnaire tibétain! Le regard fixé au sol, il avoue avoir fondé une ONG promouvant l’éducation et la culture tibétaine. Pekin l’a fermée car, dit-il, la culture et l’éducation sont considérées comme étant des sujets politiques. Selon lui, la langue tibétaine ne peut survivre si la situation perdure, le tibétain n’étant enseigné, au secondaire, qu’à raison de trois heures par jour (sans compter que pour décrocher un emploi par la suite, mieux vaut parler chinois). Il me parle  également des immolations récentes. Abasourdie par ses confessions, j’écoute en me disant que décidément, il ne faut pas se fier aux apparences dans cette région…

Malgré leur situation, les tibétains croisés sur la route nous saluent énergiquement de leur ‘Tachidele’ (à la fois porte-toi bien, bonjour et bonne route!), les paumes levées vers le ciel… Une vieille femme, les coudes appuyés sur le cadre d’une fenêtre, nous salue d’une main, un moulin à prière dans l’autre.

Des dizaines de sourires, des vallées magnifiques, des plateaux où vivent encore quelques nomades tibétains, des cols à plus de 4000 m, de super rencontres (y compris franco-québécoise avec Kevin, Alexandre et la famille FLLAP): une région fascinante et attachante.

Et tel ces drapeaux de prières qui défient le vent à plus de 4500 m, les tibétains s’accrochent à leurs moulins à prière dans l’espoir que ceux-ci parviendront à les protéger et à freiner l’avancée des bulldozers aux ordres de Pekin…

Pour marque-pages : permalien.

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